Par Serge Mavungu
D’après une enquête réalisée par le Bureau d’études et des opérations de Tous Unis pour Bâtir TUBA KWILU, la pandémie de coronavirus a secoué tous les secteurs de la vie nationale en RDC.
Les restrictions des mouvements des populations, surtout paysannes a eu de grandes incidences sur leurs activités champêtres.
La COVID-19 et ses effets collatéraux ont montré les limites des systèmes alimentaires conventionnels et donc l’impérieuse nécessité pour l’Etat et surtout les organisations paysannes de développer des systèmes alimentaires durables, tels que les systèmes basés sur l’agriculture familiale.
Ci-dessous, l’intégralité de l’enquête réalisée par TUBA KWILU
LES EFFETS COLLATERAUX DE LA PANDEMIE DU CORONAVIRUS AUPRES DES 100 AGRI-MULTIPLICATEURS ET ORGANISATIONS PAYSANNES (OP) DE KIKWIT, KUMBI, MALELA, KAZAMBA-KISUNGU ET KIMBENGI
RDC, TERRITOIRE DE BULUNGU, SECTEUR KIPUKA.
Enquête réalisée par le Bureau d’études et des opérations de Tous Unis pour Bâtir
TUBA KWILU
Avenue Kimpwanza n°30
Kikwit/2, Commune de Lukemi
0827035287
INTRODUCTION
La pandémie à coronavirus ébranle le monde depuis son apparition en chine en décembre 2019 et sa généralisation au niveau mondial à partir de février 2020. Le 30 janvier l’OMS a déclaré la COVID-19 comme une urgence sanitaire de portée internationale et depuis le 11 mars 2020, il l’a relevé au rang de pandémie mondiale.
De par sa vitesse de propagation, son ampleur en terme de personnes infectées, son caractère meurtrier et ses conséquences sur l’économie et le bien-être social, la COVID-19 constitue une véritable préoccupation sanitaire pour le monde en général et les pays en développement en particulier, dont la RDC.
La RDC a été touchée par la pandémie à coronavirus depuis le 10 mars 2020.
Selon Africa Center for Strategic studies (2020), la RDC est deuxième parmi les pays qui réunissent les facteurs de risque (taux élevé de pauvreté, système sanitaire faible et zones urbaines surpeuplées) et où l’impact de la pandémie de COVID-19 pourrait être dévastateur.
L’impact sanitaire, économique et social sera clairement massif, avec son économie extravertie, tributaire du secteur minier, et fortement dépendante des intrants et des produits de première nécessité et des denrées de base importées, la RDC devrait voir sa croissance baisser sensiblement.
Les dommages collatéraux de la maladie à coronavirus sont craints sur toute l’étendue du territoire national, notamment dans les coins où la paupérisation accrue de la population se manifeste et dont la crise alimentaire se généralise dans le pays déjà fragilisé par les conflits et les mouvements des refugiés, les dérèglements climatiques, les crises économiques, la persistance d’autres maladies comme le paludisme, la rougeole, la diarrhée, la maladie à virus Ebola, etc.
Les effets de cette crise sanitaire sont indéniablement vécus par les populations les plus vulnérables de la province de Kwilu en général et celle de l’hinterland de la ville de Kikwit en particulier et sont à l’origine des impacts collatéraux de fois irréversibles si aucune mesure d’accompagnement n’est envisagée.
C’est dans cette optique que l’ONG TUBA à travers son bureau d’études et des opérations (BEO), a réalisé une enquête sommaire dans les organisations paysannes situées dans son rayon d’action, dont Kikwit, Kumbi, Malela, Kazamba-kisungu et Kimbengi, toutes basées dans le secteur Kipuka, Territoire de Bulungu, Province de Kwilu en RDC.
L’objectif poursuivi dans cette étude a été d’évaluer les effets collatéraux de la pandémie à coronavirus sur les populations paysannes en vue de formuler les recommandations locales susceptibles d’en atténuer les impacts négatifs sur les conditions de vie des populations vulnérables, dont les enfants, les jeunes, les femmes, les vieillards. Il s’agira également d’appuyer localement le programme national multisectoriel d’urgence à la riposte.
La méthodologie mise sur pied était d’interviewer cent ménages des organisations paysannes encadrées par l’ONG TUBA. Ce document rassemble donc les synthèses des analyses de ces enquêtes et sera subdivisé en sept (07) points suivants : la crise sanitaire, la crise économique, la crise sécuritaire, la crise éducationnelle, la crise alimentaire, la crise sur le relance des activités agricoles et la crise religio-culturelle et cultuelle.
- Crise sanitaire
La province de Kwilu en général et l’hinterland de la ville de Kikwit en particulier, qui fait déjà face à de multiple crises sanitaires telles que le paludisme, la diarrhée, la fièvre typhoïde, etc., des mouvements de populations massifs, de forts taux de malnutrition aigüe et un manque d’accès aux services essentiels, la réponse en eau, hygiène, et assainissement est affectée par la COVID-19.
Les populations les plus vulnérables dans les zones les plus à risque ont besoin d’avoir accès à des points de lavage des mains afin de réduire la transmission de la maladie. Les malades dans les centres de santé présentant des éventuels symptômes sont abandonnés à leur triste sort par le personnel soignant, non formé et équipé. Ceci a augmenté le taux de mortalité dans les villages. Les mesures de confinement qui ont restreint les mouvements des acheteurs et des vendeurs des produits agricoles et de ceux qui font le troc, ont entrainé la perte des revenus de la population et un arrêt brutal des soins médicaux par manque d’argent.
De plus, la psychose créée par la COVID-19 au sein de la population entraine une forte réduction de l’utilisation de service de santé offert dans les établissements des soins contribuant à l’augmentation de la mortalité infanto-juvénile, liées aux maladies telles que le paludisme, la rougeole, les infections respiratoires aigües, les maladies diarrhéiques, etc.
- Crise économique : diminution de revenus et perte du pouvoir d’achat
Les conséquences économiques et financières de la pandémie du Covid-19 dans la région encadrée par TUBA sont de plusieurs ordres. Une accélération de la crise économique si pas une baisse significative de l’activité économique, est une résultante de la situation globale du pays. Les canaux de transmission de la crise actuelle sur l’économie de la population paysanne sont les suivants :
- La chute des termes de l’échange due principalement au recul des cours des matières premières telles que les minerais ;
- Les contraintes d’offre liées aux perturbations causées par la peur d’être infecté et la mortalité ainsi que par le confinement et la limitation des mouvements de personnes et de biens, qui pèsent sur les coûts de transactions et perturbent le commerce, le tourisme et le transport ;
- Les contraintes de demande, qui résultent de la montée de l’incertitude, de la poussée de la méfiance, des efforts de confinement et du renchérissement des conditions financières qui dans l’ensemble pèsent sur les revenus et le pouvoir d’achat des ménages ;
- Les travailleurs journaliers, les petits producteurs agricoles, les petits commerçants et les groupes similaires du secteur informel qui ne peuvent pas accéder à leurs marchés en raison des restrictions de mobilité suite à la COVID-19 ne sont pas en mesure de garantir les revenus nécessaires pour répondre à leurs besoins fondamentaux.
Tous ces changements négatifs provoqués par la pandémie de la Covid-19 portent inéluctablement atteinte aux conditions de vie de la population, notamment à travers une détérioration de la situation sanitaire avec l’accroissement du nombre de cas de contamination, une destruction des emplois ou un resserrement des opportunités de travail, une diminution du revenu réel ou du pouvoir d’achat, une baisse du volume et de la qualité des prestations sociales.
- Crise sécuritaire
Les populations, déjà fragilisées par un contexte de conflits, d’épidémies, et des catastrophes naturelles, devront faire face à une dégradation de la situation sécuritaire provoquant de nouveaux déplacements de la population, une augmentation des vulnérabilités des ménages suite aux mesures édictées par les autorités pour lutter contre la COVID-19.
Les populations déplacées et retournées du Kasaï suite à la milice de KAMWENA NSAPU, vivant dans les familles d’accueil souffrent d’une grande promiscuité et d’un accès réduit aux installations hygiéniques, augmentant ainsi les risques épidémiques. Ces populations ont besoin des articles essentiels comme les masques, les gants, les gels hydro alcooliques, les lave-mains aussi les thermoflashs pour lutter contre la propagation de la COVID-19.
La suppression des différentes barrières a entrainé une insécurité totale dans les villages occasionnant le taux élevé de vols, viols, de menaces, etc.
- Crise éducationnelle
A la suite de la COVID-19, toutes les écoles ont été fermées. De ce fait, plusieurs enfants ont interrompu les études et ceci implique un risque d’abandon définitif d’études à long terme. Le manque d’occupation et d’encadrement par les adultes (enseignants et parents) aura ou ont eu pour conséquence l’exposition à différents risques, y compris la contamination par la COVID-19, le travail forcé, l’exploitation et les abus de toutes sortes.
La réponse COVID-19 en terme d’éducation nécessite l’adoption des nouvelles approches notamment l’enseignement à distance afin d’assurer la continuité de l’éducation, la diffusion de messages sur la prévention à la COVID-19 et le bien- être psychosocial. Les populations paysannes enquêtées n’ont pas des télévisions, radios, etc., pour faciliter à leurs enfants l’éducation à distance, car les populations rurales vivent dans les conditions de pauvreté.
- Crise alimentaire ou nutritionnelle (mourir confinés ou se nourrir, un dilemme)
Les mesures sanitaires mises en place par le gouvernement ont eu rapidement un impact négatif sur les revenus de la population, la production et les prix des denrées alimentaires de première nécessité, causant la baisse de la disponibilité et de l’accès à l’alimentation et aggravant la situation nutritionnelle déjà très préoccupante chez les enfants, femmes enceintes et allaitantes.
La fermeture des barrières, le prolongement successif et le durcissement des mesures du gouvernement sur le transport, les mouvements, les commerces, etc., augmentation de l’insécurité, la COVID-19 a un impact sur la disponibilité et l’accès aux vivres, se manifestant par les faits ci-après :
- Baisse de la production locale (saison agricole affectée, récolte restreinte, augmentation des pertes post-récolte) ;
- Baisse de l’accès aux intrants (rupture des chaines d’approvisionnement en semences, houes, machettes, râteaux, etc.) ;
- Interruption des petits commerces, les trocs ;
- Baisse des importations (baisse de la production extérieure suite à la fermeture des frontières, réduction des vols, cargos…) ;
- Hausse de prix des produits de base ;
- Réduction du pouvoir d’achat (interruption des activités économiques journalières, perte de revenus) ;
- Baisse de l’accès aux marchés (fermeture des marchés, restriction des mouvements).
Considérant ce qui précède, les populations les plus affectées et les plus à risque sont les populations urbaines des villes qui dépendent totalement des ménages ruraux.
- Crise sur la relance des activités agricoles
L’agriculture est une opportunité pour une croissance inclusive et pour la lutte contre la pauvreté en RDC. En milieu rural, elle est le principal pourvoyeur d’emplois, surtout pour les plus pauvres. L’essentiel des produits alimentaires produits localement est fournis par les petits exploitants. Le renforcement de la chaine de valeur agricole au profit des petits paysans serait une stratégie de diversification de l’économie en RDC.
La réduction de la mobilité des personnes et des biens découlant des mesures d’isolement et de confinement prises par les autorités pour contenir le rythme d’expansion de la COVID-19 dans le pays en général et à l’hinterland de la ville de Kikwit en particulier, où se situe le rayon d’action de l’ONG TUBA, pèsent sur le déroulement des activités agricoles.
La filière agricole ou alimentaire est un réseau complexe qui inclut les producteurs, les intrants agricoles, les transports, les usines de traitement, de livraison, etc.
La pandémie à nouveau coronavirus a été déclarée en RDC au mois de mars. Cette période active de la saison B a été perturbée par les restrictions des mouvements des populations, surtout paysannes. Le confinement a eu d’impacts fâcheux sur les activités agricoles, perçu comme suit :
- Diminution du nombre des staffs dans les champs. La déstabilisation de la sécurité dans les villages a entrainé l’exode rural suivi d’une baisse de production agricole. Les jeunes considérés comme la main d’œuvre sure abandonnent les villages et laissent les activités agricoles aux personnes âgées et la diminution drastique de la main d’œuvre suivi d’une baisse de la production et d’une crise alimentaire et nutritionnelle importante ;
- En quittant les lieux de production, la population juvénile à l’âge de travailler a abandonné des opérations agricoles comme le sarclage et la récolte, entrainant ainsi une baisse sévère de la production et du rendement des champs. Il a été constaté également soit l’abandon de la fabrication des houes, machettes, pèches, râteaux, etc., par les forgerons soit l’augmentation du prix de ces outils aratoires suite à la diminution des utilisateurs ou du nombre des outils produits ;
- Ces effets sur la dégradation de la qualité des semences auront un impact sur la disponibilité des semences à utiliser pour ensemencer les champs de la saison A 202.
- Crise religio-culturelle et cultuelle
La persistance de la pandémie de coronavirus avait conduit au confinement qui a entrainé la fermeture des lieux publics, comme les lieux de cultes ou de messes. La population paysanne qui croit généralement à Dieu s’est vu privée de ses temps de prière, alors que c’est pendant cette période qu’ils se reposent pour se reconstituer afin de recommencer les activités avec force au début de la semaine. Mais suite au confinement et la restriction des mouvements, les paysans ont eu l’habitude de dire que « Dimanche n’existe plus », donc il faut travailler jusque dimanche. Cette habitude a entrainé l’augmentation des cas des maladies, des courbatures, etc., suivi de la diminution de la main d’œuvre et de la production.
Il sied de noter également que participer aux cultes ou aux messes les dimanches contribuait au changement des mentalités et de la morale et par ricochet à la réduction des cas de vol, de viol, d’adultères, d’alcoolisme, de tabagisme, de banditisme (Kuluna), etc. Mais suite à l’interruption des cultes les paysans ont connu la recrudescence de ces actes de dépravation de mœurs, ayant des conséquences très négatives sur les activités agricoles.
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
L’apparition et la propagation de la COVID-19 en RDC a causé indéniablement les effets collatéraux sur le vécu des paysans des villages Kumbi, Malela, Kazamba-kisungu et Kimbengi, y compris la ville de Kikwit dans la province du Kwilu. Ces effets ont créé toute une série de crises, notamment, sanitaire, économique, sécuritaire, éducationnelle, alimentaire, sur la relance des activités agricoles et religio-culturelle et cultuelle.
La COVID-19 et ses effets collatéraux ont montré les limites des systèmes alimentaires conventionnels et donc l’impérieuse nécessité pour l’Etat et surtout les organisations paysannes de développer des systèmes alimentaires durables, tels que les systèmes basés sur l’agriculture familiale. Les systèmes fondés sur le développement d’une alimentation reposant sur les vivres de souveraineté (vivres locaux), le développement des semences paysannes reproductibles basées sur des savoirs endogènes (locaux), le développement des chaines de valeur durables et circuits courts de distribution.
Les moments de crise étant également des occasions pour tirer des leçons et prendre des engagements, il est crucide que les entreprises agricoles investissent dans les systèmes agricoles et alimentaires durables avec comme fil conducteur les pratiques et politiques de souveraineté alimentaire, en suivant les recommandations suivantes :
- Soutenir l’accompagnement des exploitations agricoles familiales pour nourrir les villes et les campagnes ;
- Encourager la diversification des cultures de souveraineté alimentaire, l’agroforesterie et les systèmes de résilience ;
- Soutenir le développement des semences locales et constituer des banques de semences dans les différentes localités ;
- Renforcer les infrastructures, les circuits de transport et distribution des produits agricoles des villages vers les villes avec des mesures incitatives du marché local ;
- Développer les infrastructures de stockage et de transformation au niveau local pour créer de l’emploi ;
- Renforcer et rapporter les offres de mécanisation des activités de production, surtout dans les grands centres de production ;
- Attribuer des financements conséquents à l’agriculture et plus particulièrement au secteur du vivrier et maraicher y compris la chaine de valeur ajoutée.
- Soutenir l’insertion et la professionnalisation des femmes et des jeunes dans les maillons de la chaine agricole et alimentaire.
- Sensibiliser les communautés paysannes et former le personnel sur les mesures barrière dans le but d’atténuer l’exposition et la propagation du virus, en instaurant les mesures d’hygiènes d’autoprotection (lavage régulier des mains avec du savon ou utilisation des solutions hydro alcoolique) et utilisation rationnelle des équipements de protection individuelle (masques, les gants…) et la non-stigmatisation des personnes suspectées ;
- Distribuer dans les villages des kit d’hygiène COVID-19 tels que les masques protecteur, gants, gel hydroalcoolique, thermomètre, les laves mains, les dépliants et des affiches en vue d’éviter la propagation de la maladie dans les milieux ruraux.
- Former les enseignants et autres acteurs (Comité de parents d’élèves/Comités de Gestion d’écoles, parents) dans de petits groupes et/ou par distance sur l’apprentissage à distance et les messages clés du COVID-19 ;
- Diffuser des leçons d’enseignement et de messages de sensibilisation COVID-19 à distance basées sur le programme national par radio, télévision, SMS, internet (où possible), matériaux en papier, etc. ;
Ces quelques recommandations seraient des solutions durables au-delà de la pandémie de la COVID-19 dont la fin reste encore incertaine malgré la levée progressive des mesures d’urgence dans le pays.