Tout avait plutôt bien commencé à 11:00 ce jeudi là 30 juin 1960, lors de la cérémonie officielle de la proclamation de l’indépendance du Congo au palais de la Nation. On verra dans ce post de quelle manière les à-côtés de cette cérémonie feront payer le prix fort au peuple congolais, 62 ans plus tard.
L’ordre protocolaire fut méticuleusement respecté à savoir : accueil de deux chambres et des invités, puis le Premier ministre, le Chef de l’État et le Roi firent leur entrée au Palais de la Nation. Deux discours furent programmés pour l’occasion : celui du Roi Baudouin et celui du Président Kasa Vubu.
Joseph Kasongo, le président du parlement et président des cérémonies, invita le roi puis le président Kasa Vubu qui tous deux prononcèrent des discours très applaudis par l’assemblée.
Mais à la fin du discours du Président Joseph Kasa Vubu, à la surprise générale du protocole et des invités, le président des cérémonies, Joseph Kasongo, invita ensuite le Premier ministre Patrice Emery Lumumba à prononcer son discours de circonstance.
Les premiers mots du discours du PM Lumumba donnaient déjà le ton de son allocution. Il commença par s’adresser, non pas au Roi ni au président son chef hiérarchique ni non plus aux différents invités présents, mais plutôt aux « Combattants de la liberté ».
Lumumba rectifia point par point le discours du roi belge et insista pour que le peuple congolais comprenne que cette indépendance là n’était pas un cadeau de la Belgique. Mais qu’elle a été arrachée par « une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte qui fut des larmes, de feu et de sang pour mettre fin à l’humiliation et à l’esclavage qui nous étaient imposés ».
Vent de fureur et d’indignation dans la salle. Le roi belge perturbé se penche vers Kasa Vubu (très embarrassé) pour savoir s’il était informé puis menace de quitter la salle et de rentrer en Belgique. Il avait fallu beaucoup de diplomaties pour le retenir. Lumumba sera invité à prononcer un autre discours moins virulent le soir du même jour mais le mal était déjà fait. Tous les milieux belges et diplomatiques semblaient encaisser le coup et avaient de ce soir là commencé à préparer leur vengeance.
Après le discours de Lumumba, l’acte officiel de l’indépendance fut signé par les Premiers ministres Belge et Congolais, Gaston Eyskens et Patrice Lumumba, contresigné par les deux Ministres des Affaires Etrangères Pierre de Vigny et Justin-Marie Bomboko.
Comme vous pouvez l’observer sur ce bout de papier sans en-tête la présence de quatre signatures. Mais c’est la signature du premier ministre belge qui va ronger délibérément l’espace de la signature du PM congolais. Tout un message sibyllin qui annonçait le croisement de fers dans les mois à venir.
Pour pouvoir mettre les bâtons dans les roues du jeune gouvernement, l’ancienne métropole humiliée va pousser à la sécession, des provinces riches en minerais telles le Katanga et le Kasai. Elle va aussi jeter dans l’armée nationale le germe de la mutinerie, rendant ainsi le pays ingouvernable jusqu’à ce que, dans une action coordonnée de la CIA, de la Sécurité intérieure belge et de la complicité des hauts responsables congolais, Lumumba soit arrêté, tué et jeté dans l’acide pour faire disparaître ses traces et effacer son idéal.
Ce à quoi on va assister dans les nombreux pouvoirs qui lui succéderont sera la parodie d’indépendance de l’idéal très élevé de ce Lumumba. Car en effet, les antivaleurs fustigées par Lumumba dans son discours historique du 30 juin notamment « Le travail harassant avec un salaire de misère, nos terres spoliées, nous sommes devenus exilés dans notre propre patrie, les cachots brûlants pour ceux qui ne veulent pas se soumettre à un régime d’injustice » auront la peau dure et referont l’actualité 60 ans après sa mort. Elles deviendront même le quotidien de la réalité douloureuse congolaises et des congolais.
Les belges auront réussi à se faire remplacer par une élite politique congolaise plus impitoyable et plus cynique qui traitera les congolais comme Léopold II l’avait jadis fait c’est-à-dire comme des “choses”, avec mépris, violence quotidienne et refus de dignité humaine. Observez les quatre régimes post-Lumumba pour vous apercevoir que l’indépendance proclamée ce jour-là est encore une illusion et une parole creuse.
Par Gaba