Par Gédéon ATIBU
Devenu presqu’un fléau, le tribalisme ronge la société congolaise. Des clivages politiques, sociaux et économiques restent flagrants. Une situation qu’accentuerait l’absence d’un État moderne et véritablement démocratique. Et dont les causes profondes jalonnent l’histoire coloniale du pays.
L’affaire a rebondi à la suite des propos empreints de tribalisme ou régionalisme qu’a tenus Félix Kabange Numbi à Lubumbashi, il y a environ une année. Ce député national, posant aux côtés du gouverneur du Haut-Katanga, le Katanga serait une terre de Joseph Kabila à partir de laquelle on ne doit pas le critiquer.
Ces propos qui frôlent le tribalisme, ont donné lieu à un déluge de commentaires. Seulement, très foudrants, la plupart de ces commentaires étaient aussi tribalistes.
Les causes du tribalisme en RDC
Mais pour lutter contre le tribalisme en RDC, il serait important de comprendre ses causes profondes. Lesquelles causes sont généralement issues de la construction artificielle de l’ethnie, surtout au temps colonial.
En effet, à l’issue de la conférence de Berlin, le traçage des frontières en Afrique s’est fait de manière arbitraire. En clair, il n’a pas tenu compte des réalités socio-politiques précoloniales.
De ce fait, le roi Léopold II s’est mis à construire un État Indépendant au Congo. Mais dans un esprit presqu’entrepreneurial. La première option était de sédentariser les populations indigènes.
Sur ce point, l’histoire renseigne que de 1891 à 1949, l’administration coloniale avait tenté de regrouper les populations congolaises en les désignant par des catégories communes. C’est dans l’objectif de bien les contrôler. De ce fait, des entités homogènes vont voir le jour. Sur les formulaires et pièces d’identité figurait le nom de la tribu ou de l’ethnie.
Des ethnies fictives en RDC
Ce phénomène prendra ainsi trois formes. C’est d’abord la création des ethnies dont la plupart n’ont pas des sources archéologiques et orales. C’est l’image de Bangala qui serait une construction européenne.
Ensuite, la transposition des noms d’avant la colonisation à des contextes nouveaux. Enfin, la transformation d’unités politiques ou de toponymes précoloniaux en ethnies.
Finalement la population intérioriserait ces ethnies, œuvre des colonisateurs. Celle-ci en ferait un instrument idéologique de détermination sociale. Une situation qui continuerait encore à peindre l’attitude de beaucoup de congolais.
Les villes, sources du tribalisme en RDC
En effet, dans les villes, l’administration coloniale avait regroupé les indigènes sur la base de l’ethnie. Ainsi, les associations socio-tribales ont obtenu du pouvoir colonial l’autorisation de jouer le rôle d’intermédiaires.
Un modèle qui serait reproduit lorsqu’on considère la prolifération d’associations tribales. Dans le Haut-Katanga par exemple, il est fréquent d’apprendre qu’une association de ressortissants d’un coin de la province recommande des individus aux postes de responsabilité publique.
Le tribalisme créateur des politiciens
«Aujourd’hui, les démons du tribalisme ont repris le dessus. Je me dis que si n’était possible d’interdire la création de toutes organisations basées sur un objectif tribal ” a déclaré Henry Kilandi, analyste.
Si au village l’ethnicité suppose appartenir à un système effectif de la vie journalière; dans les centres-urbains, elle a pris une autre forme. Les citadins en RDC se regroupent sur la base de la langue, ou de la façon de vivre. Et-ce depuis la base de la société jusqu’au sommet.
Cette attitude va jusqu’à sélectionner ses voisins et connaissances « on m’a refusé de signer un contrat de bail, parce que je n’étais pas de la même tribu qui celui qui devrait être mon bailleur» a indiqué Jean Ngoy.
Pourtant cette fraiche vingtaine a dû quitter la province du Kasaï pour le Haut-Katanga. Une province où il devra accéder aux études universitaires à Lubumbashi.
Des frustrations psychologiques qui ne finissent pas
Un autre problème du tribalisme tiendrait aux préjugés que le pouvoir colonial aurait entrenus. Au temps colonial, l’administration se plaisait à attribuer des étiquettes de supériorité et d’infériorité à des tribus. De façon arbitraire, les tribus supérieures étaient celles qui acceptaient les idées européennes. De ce fait, le pouvoir considérait comme inférieures les tribus qui rejetaient ces idées.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement de la RDC devrait mettre sur pied un système de réformes institutionnelles. Car il paraît rétrograde que «pour siéger au sein d’une assemblée provinciale, quelqu’un doit être originaire de la province», regrette Henry Kilanda. Alors que «le simple fait d’avoir élu domicile dans une province suffit» tranche-t-il.
La RDC compte plus de 400 ethnies. Certaines sont étrangères les unes aux autres. La pauvreté et le découpage territorial accentueraient aussi le tribalisme.