La tradition africaine, fondée sur la méthode patiente de la palabre, n’indique ni vainqueurs ni vaincus, mais elle s’efforce de trouver une solution satisfaisante pour tous sans faire appel à la majorité. Or, la démocratie occidentale, avec sa notion de liberté individuelle, est une démocratie élitiste, destinée aux personnes jouissant d’un certain degré de scolarisation. La majorité de la population africaine ne possède pas ces connaissances. Les mieux informés en profitent et ne cherchent que la satisfaction de leurs intérêts égoïstes.
Par conséquent, une démocratie calquée sur l’Occident, basée donc sur la loi de la majorité et pas sur celle de la recherche d’une solution qui serait favorable à toute la communauté, n’est pas de nature à améliorer la situation politique et économique de la population africaine.
Si l’on veut faire progresser l’Afrique, il faudra tenir compte de sa culture et faire participer le peuple tout entier au processus de développement.
Même si, dans la vie moderne, il n’est pas possible de suivre littéralement la méthode traditionnelle, il y a certainement un moyen d’adapter le système de la palabre, comme certaines tentatives semblent le suggérer. M. R. Afan, dans son livre La participation démocratique en Afrique. Ethique politique et engagement chrétien (2001), montre comment le modèle traditionnel de palabre a servi de base pour les Conférences nationales en Afrique de l’Ouest, où le peuple a joué un véritable rôle.
Pour que le modèle de la palabre traditionnelle devienne efficace dans le monde moderne, mêlé d’éléments venus d’Occident, il sera nécessaire d’analyser à la racine la culture africaine, afin de découvrir ce qui constitue la quintessence de la tradition des ancêtres.
Il n’est pas rare d’entendre, même de la part de certains Africains fascinés par la culture occidentale, que l’Afrique d’aujourd’hui a perdu son identité traditionnelle et qu’il est illusoire de se référer à la culture africaine. Il est vrai que cette culture n’a pas préservé son innocence originelle. Cependant, il faut reconnaître que la culture traditionnelle est toujours présente dans l’Afrique moderne. C’est ainsi qu’on observe, par exemple dans les pratiques religieuses, qu’un chrétien africain trouve normal de combiner sa nouvelle foi avec la religion de ses pères. De plus, dans les situations critiques, il ne fera pas appel à la foi chrétienne, mais plutôt à la tradition africaine, en se rendant chez le sorcier ou le devin qui, à son avis, le protègent davantage. Dans les Eglises chrétiennes, ce phénomène est appelé inculturation du message évangélique par rapport aux cultures locales.
Souvent limité à tort au domaine de la religion, ce phénomène est également présent dans la vie politique et économique africaine. On sait, à titre d’illustration, que beaucoup de responsables politiques, jaloux de conserver leur pouvoir, s’entourent de marabouts ou de devins traditionnels qui leur prédisent l’avenir et les préservent du mauvais sort.
Par Gédéon ATIBU